Le serment de Bourgelat à l’épreuve
29/07/2022
Vie de l'Association
Cet édito est le dernier de la série de trois articles sur l’indépendance vétérinaire. Nous avons souhaité, suite à la table ronde organisée à Roissy, illustrer les différentes facettes de cette « actualité » qui fait débat aujourd’hui. Trois praticiens, ayant choisi des modèles différents d’organisations, ont exprimé leur conception et leur vision de la pratique vétérinaire de demain ( à lire ou relire sur le site de l’AVEF).
La structuration (GIE, réseaux…), puis l’évolution (groupes capitalistiques) du monde vétérinaire français durant ces dernières années sont les révélateurs de deux marqueurs majeurs. Le premier c’est l’attractivité perçue et réelle de notre activité pour des groupes. Notre métier peut créer du profit, même en pleine crise comme le COVID. Le deuxième c’est la faiblesse de notre gestion d’entreprises. Gestion qui prend une ampleur importante dès que le souhait ou le besoin de développement et d’organisation se font sentir. Ces deux marqueurs sont de véritables opportunités pour des investisseurs quel qu’ils soient. Leurs objectifs ? Aller chercher la rentabilité et le rendement, en augmentant les recettes et en diminuant les dépenses.
Pour grand nombre d’entre nous, l’Ecole Vétérinaire, nous a peu formé à la gestion. Le vétérinaire apprenait son métier de praticien pendant ses études et ses stages et découvrait le travail de chef d’entreprise quand il créait sa société ou qu’il s’associait. Bien que l’enseignement dans ce domaine s’améliore ces dernières années, à l’épreuve du terrain, les doutes peuvent s’installer. Sommes-nous de bons dirigeants ? De bon gestionnaires ? De bons meneurs de projets ? ... Être à la fois praticien et gestionnaire semble parfois insurmontable. C’est ce qui fait le jeu des groupes qui revendiquent notre sérénité ! Nous allons pouvoir nous concentrer sur notre véritable métier : soigner et ne plus accomplir toutes ces tâches administratives que nous ne maitrisons pas. Oui mais au prix de quels sacrifices ?
Celui de l’avenir de nos structures et de la profession vétérinaire. Le groupe qui achète aujourd’hui, que fera-t-il de notre entreprise après avoir rentabilisé sa mise ? Si la première négociation se passe bien, quid de l’arrivée dans 5 à 7 ans de nouveaux fonds d’investissements plus exigeants ? Travaillerons-nous dans les mêmes conditions ? Devront nous changer nos pratiques pour satisfaire leur logique financière ? Dans quelles mesures nos intérêts, ceux de notre équipe, de nos patients et de nos clients seront-ils respectés ? Serons-nous tous, demain, des salariés vétérinaires de groupes, réalisant des objectifs pour le bénéfice d’investisseurs loin de notre métier ?
Celui de l’indépendance dans nos choix stratégiques de développement : choix de nos collaborateurs, de leurs rémunérations, choix des investissements, du matériel et aussi choix du soin le plus adapté, celui de sa facturation face à des situations particulières, choix des solutions thérapeutiques … La pression d’un groupe sur la rentabilité peut nous obliger à épouser des choix qui n’auraient pas été les nôtres et seraient contraires à nos valeurs. Faudrait-il sacrifier notre liberté de mouvements, nos recrutements, notre plaisir de travailler avec une belle équipe et du bon matériel sur l’autel de la rentabilité ?
Celui enfin de l’irréversibilité. Une fois notre structure au sein d’un groupe, pas de sortie envisageable. Si le montant proposé par un groupe n’est pas comparable avec l’achat de parts par de jeunes vétérinaires intégrant une structure ou lors d’un départ en retraite, il existe d’autres solutions pour rentabiliser son activité que les chaines de cliniques. Par exemple les SPFPL permettent de récupérer la revalorisation de sa clientèle tous les 6 à 10 ans, à plusieurs reprises et avant la fin de sa carrière. Ceci permet d’intégrer de jeunes associés avec un investissement raisonnable. La pérennité de nos entreprises indépendantes est vitale pour préserver la diversité d’exercices…
Enfin quid du client dans ce nouvel environnement ? Dans les modèles existant en humaine, les groupes sont allés chercher les actes les plus rentables. La possibilité existe donc coté vétérinaire, de ne garder, comme en humaine, que les actes les plus rémunérateurs et de laisser les autres à des structures moins spécialisées. Les deux modèles cohabitant et étant gérés par le même groupe afin d’augmenter le taux de rentabilité interne des deux entreprises. Pour le client c’est une perte de repères, un budget possiblement en hausse et une continuité de soins moins pertinente. Pour le vétérinaire c’est une perte de moyens et d’autonomie vis-à-vis de son client. L’indépendance est sans nul doute un modèle qui demande de l’engagement, mais sommes-nous prêts à faire tous ces sacrifices « liberticides » ?
Pour l’instant, nous observons et certaines réponses n’arriveront que dans quelques années. Dans ces temps de recrutement difficiles, nous avons encore le choix aujourd’hui de vendre ou non notre structure. Demain ce seront les choix de vie et de carrière des jeunes diplômé(e)s qui dessineront la configuration de notre profession. S’ils veulent avoir la sécurité du salariat nourrie de formations attractives, les groupes continueront à gagner du terrain. Si au contraire, les jeunes ont un brin d’ambition, l’envie de rester maitre de leur avenir, et veulent conserver liberté et indépendance tout en se formant auprès de séniors investis dans leur entreprise, alors ceux qui auront choisi de ne pas vendre seront les gagnants car les vétérinaires les plus motivés rejoindront leurs équipes.
Nous sommes encore nombreux à clamer notre indépendance et notre liberté et à refuser de vendre ce que nous avons mis tant d’années à construire. La crainte que nous pouvons avoir aujourd’hui c’est que notre métier privilégie, demain, la rentabilité à notre serment de Bourgelat.
Hameline Virevialle, Vétérinaire, Vice-présidente AVEF